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II.1. Principe de l'approche F+I


 

Concevoir la théorie formelle d'un certain phénomène consiste à produire un système de manipulation de signes obéissant à des règles purement syntaxiques et dont le comportement présente des analogies intéressantes avec le phénomène étudié. Un tel système de manipulation de signes est appelé système formel.
L'analogie entre le système de manipulation de signes et le phénomène est donnée par une interprétation qui met en relation les signes utilisés et les objets et ensemble d'objets étudiés.

La caractéristique la plus fondamentale et la plus intéressante des systèmes formels est qu'ils peuvent exister et fonctionner par eux mêmes, indépendamment du phénomène qu'ils sont censés représenter. On peut produire de manière systématique, à partir de suites de signes et à partir de règles syntaxiques, de nouvelles suites de signes. Point besoin pour cela d'attacher aucune espèce de signification à aucun des signes. Point besoin de savoir de quoi on parle pour pouvoir en parler avec certitude ! Cette caractéristique permet d'assurer qu'en donnant le même système formel à deux mathématiciens (ou à deux machines), ils (elles) seront capables de produire les mêmes suites de signes. Voilà qui assure ce qu'on appelle communément la rigueur d'une théorie. Voilà mise en pratique et en équation l'ambition Aristotélicienne et Leibnizienne de voir inéluctablement se mettre d'accord les différents "raisonneurs" partant des mêmes prémisses.

On peut envisager de produire et d'étudier des systèmes purement formels en dehors de toute analogie avec une quelconque autre réalité. Cependant, l'intérêt de ce "jeu" syntaxique n'est pleinement révélé que par la donnée d'une interprétation, quand les objets et ensemble d'objets étudiés peuvent être dénotés par des signes, les règles de manipulation de signes mises en correspondance avec des opérations sur ces objets et ces classes, et les chaînes de signes produites interprétées en terme de prédictions (ou d'explications) sur le comportement du phénomène étudié. Alors, et alors seulement, nous aurons une théorie formelle de notre phénomène.


Figure 3 : principe de l'approche F+I

L'interprétation est une notion mathématique bien définie. Elle peut même être, elle-même, formalisée comme le prouve les travaux de Tarsky et Carnap sur la sémantique extensionelle et la théorie des modèles. Pour simplifier, disons qu'une interprétation est définie par :

La notion d'interprétation postule donc implicitement que le phénomène modélisé ait une structure ensembliste et que cette structure soit "accessible" aux "utilisateurs" du système formel.
Il faut, en effet, que ces utilisateurs aient la capacité de distinguer parfaitement et sans ambiguïté les uns des autres les objets de D, les ensembles d'objets de D et les ensembles d'ensembles d'objet de D (une relation n-aire est un ensemble d'ensembles à n éléments d'objets de D).

Dualement[4], il faut que ces utilisateurs aient la capacité d'assigner sans ambiguïté la valeur "vrai" ou "faux" à n'importe quelle relation entre éléments de D correspondant à un prédicat défini dans le système formel. S'ils ont cette capacité, alors, les utilisateurs du système formel pourront se servir de sa mécanique syntaxique pour démontrer des "théorèmes" qui seront, sans doute, pour eux interprétables comme des "vérités" dans le domaine de discours et pour le phénomène modélisé.

Nous appellerons catégorisation l'opération consistant, pour chaque utilisateur du système formel, à "projeter" sur le phénomène cette structure ensembliste (voir figure 3).
Si l'interprétation est une notion mathématique parfaitement définie, la catégorisation, elle, est une notion cognitive qui prend en compte nécessairement les capacités perceptives, intellectuelles et motrices de l'utilisateur considéré.
Adopter cette définition de l'interprétation, et notamment le concept de domaine de discours, c'est admettre que cette catégorisation soit possible. Non seulement qu'elle soit possible, mais qu'elle puisse être accomplie avec toute la rigueur nécessaire, afin de distinguer, sans aucune ambiguïté, les limites des ensembles correspondants aux symboles de constantes et de prédicats du système formel.
Adhérer sans réserves à cette thèse revient à écarter d'un simple revers de main tout le problème de la perception et de l'action, toutes les difficultés dues à l'incertitude et l'incomplétude, et toutes les si anciennes, si nombreuses et si subtiles réflexions épistémologiques sur la triade "réalité - observateur - représentation" et son pendant "référé - signifié - signifiant".



[4]Cette dualité est à mettre en parallèle avec celle entre "Théorie des modèles" et "Théorie de la démonstration" [Kleene67].


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