Le paradigme[2] dominant en programmation des robots, comme en science cognitive, est celui de la modélisation de l'environnement. La modélisation d'un phénomène suppose 2 éléments indissociables :
Dans la suite, nous appellerons ce paradigme "l'approche F+I"
(système Formel + Interprétation).
Une telle approche suppose donc implicitement d'admettre les 2 postulats
suivants:
Dans le paragraphe II nous contestons les fondements de cette approche
en mettant en doute ces deux postulats.
L'argumentation est double et peut se résumer par la formule, "Ceci
est une pipe - Ceci n'est pas une pipe".
Figure 1 : ceci est une pipe
La figure 1 montre comment l'un de nos sujets d'expérience, le
robot Khépéra, "voit" une pipe. On conçoit
aisément les difficultés que peuvent avoir Khépéra
et son concepteur pour se mettre d'accord sur l'ensemble des objets qu'il
convient de ranger dans la catégorie "pipe". Les différences
entre les appareils sensori-moteurs du programmeur et du robot rendent en
grande partie illusoire qu'ils puissent partager une même structure
ensembliste de l'environnement (postulat 2).
Figure 2 : ceci n'est pas une pipe
La figure 2, célèbre tableau de Magritte, pose la question
fondamentale "qu'est ce qu'une pipe?".
Est-il possible à un être sensori-moteur de se prononcer définitivement
et catégoriquement sur ce qu'est une pipe ? Lui est-il possible de
rester constant quant à son propre jugement de ce qu'est une pipe
?
"Ceci" n'est certainement pas une pipe si vous voulez la fumer,
mais que répondrez-vous si on vous la montre en vous demandant ce
que c'est ? Si une pipe est brisée en deux, pourrez vous la fumer
? Certainement pas, serrait-elle moins "pipe" pour autant ? En
combien de morceaux faudrait-il qu'elle soit brisée pour perdre sa
qualité de pipe ? Les magnifiques et brûlants narguilés
qu'on vous propose dans les ruelles d'Istanbul, sont-ils des pipes ? Sans
doute, si vous ressentez une nécessité de fumer. Certainement
pas s'il s'agit d'en ranger un dans votre poche.
"Ceci n'est pas une pipe" va nous entraîner très
loin.
En remettant en cause la validité du premier postulat, nous nous
attaquons aux fondements même de la formalisation.
En effet, le concept d'appartenance à un ensemble est parfaitement
dual de la notion de vérité. Il y a toujours équivalence
entre la vérité d'une proposition et l'appartenance à
un certain ensemble. Munir un phénomène d'une structure ensembliste
revient à établir la vérité (ou la fausseté)
des propositions correspondantes.
Finalement, ce que nous remettrons en cause, c'est qu'il soit possible pour
des êtres sensori-moteurs de parler et d'accéder à des
vérités objectives indépendantes de leurs connaissances
préalables et de leurs états sensori-moteur et mental.