Les ailes n'ont pas été "conçues" pour
que les animaux puissent voler. Elles furent sans doute, à l'origine,
des organes de régulation de la température. Il s'avéra
alors que la structure de ces organes donnait des capacités pour
planer. Cet "effet de bord" apportant un avantage sélectif,
il fut préservé et continua à évoluer pour devenir
la fonction principale et conduire aux ailes que nous observons sur les
insectes actuels.
Figure 17 : les ailes n'ont pas été "conçues" pour que les animaux puissent voler : Disney n'a rien inventé
De nombreuses structures, de la biologie à la technologie (par
exemple, la disposition des touches sur les claviers d'ordinateurs), ne
peuvent s'expliquer de manière satisfaisante que si on les replace
dans une telle perspective historique et évolutionniste. Elles sont
incompréhensibles si l'on suppose qu'elles ont été
"conçues" à partir d'une tabula rasa en vue
de remplir leurs fonctions actuelles.
Cette notion appelée contingence est considérée
par certains (voir en particulier l'oeuvre de Stephen Gould [Gould88], [Gould91a]
et [Gould91b]) comme un aspect essentiel de l'évolution des espèces
animales.
Elle n'a jamais, à notre connaissance, été appliquée
à la construction des robots.
Cela se comprend aisément, dans la mesure où la plupart des
robots existant ont été "conçus". Dans la
perspective d'autonomie où nous nous plaçons dans ce paragraphe,
il ne s'agit plus de concevoir les robots mais de leur donner les moyens
de se "développer". C'est alors que nous pensons que la
contingence devient un facteur capital.
Comme nous l'avons vu tout au long de ce papier, l'incomplétude des
modèles est la difficulté majeure que rencontre la robotique.
Du "bruit" aux "aberrations" en passant par les "hasards"
et les "accidents", tout ce qui est imprévu, c'est-à-dire
tout ce qui sort des limites étriquées de la modélisation,
est considéré comme parasite et nuisible.
L'approche F+D, comme nous l'avons vu, apporte un premier type de réponse
à l'incomplétude : les "variables cachées",
ce qui n'a pas été modélisé, engendrent de l'incertitude
qui est prise en compte dans les descriptions et par le raisonnement probabiliste.
La notion de développement contingent va plus loin, car elle suppose
que les effets imprévus peuvent dans certains cas être utilisés
comme moteurs du développement.
Une anecdote concernant le Khépéra mérite d'être
racontée pour illustrer ces propos. Khépéra était
utilisé avec un programme photophile réflexe tout à
fait élémentaire lui permettant de suivre une lampe torche.
Un jour, alors que le porteur de la torche l'éteignit, le robot fit
quelque chose de complètement inattendu qui marqua beaucoup tous
les spectateurs. Le robot fit demi-tour sur place, se dirigea en évitant
tous les obstacles vers une pièce éclairée, franchit
la porte a moitié fermée de ce bureau en négociant
parfaitement ce passage étroit pour se mettre à danser
sous la lampe dont la lumière provenait, apparemment content
d'avoir atteint son but !
Ce comportement étonnant est en fait facile à comprendre.
La source de lumière principale étant le bureau éclairé
c'est normal qu'il ait attiré Khépéra. La combinaison
du comportement photophile et des ombres projetées par chaque obstacle
explique que le robot en allant vers la lumière évite les
obstacles et négocie facilement les étroitures, le gradient
de lumière lui indiquant toujours le chemin à suivre. Enfin,
la "danse de victoire" traduit seulement l'indécision du
robot une fois arrivé dans le "marais" lumineux se trouvant
sous la lampe.
Cette expérience, déjà ancienne, fut à l'origine
d'une bonne partie des travaux décrits ici. La question étant
de savoir comment exploiter l'apparition de tels comportements émergents
?